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Les langages selon Bernard Collot (janvier 2023)

Ma théorie sur les langages et les apprentissages

Une école du 3ème type n’a pas été fondée sur une théorie, heureusement ! Ce sont les constats faits au fur et à mesure de son vécu et de son évolution, le constat de son efficience quant à la construction des apprentissages qui m’ont fait rassembler les diverses notions mises au jour par la recherche contemporaine en une théorie.

Tout découle de quatre notions :

Celle d’information: L’environnement dans lequel nous vivons produit une infinité d’informations que tout être vivant perçoit par ses sens ( la vue, l’odorat, l’ouïe, le toucher (la peau), le goût, il y en aurait même un sixième plus ou moins indéfinissable. Il ne faut donc surtout pas réduire l’information à celle transmise verbalement par les individus, les supports médiatiques…

Celle de communication. La communication concerne tous les échanges d’informations. On communique avec l’environnement et l’environnement communique avec nous que l’on s’en rende compte ou non. Il ne faut surtout pas la réduire aux échanges entre individus.

– Celle d’interaction. C’est la plus importante. L’interaction suppose que toute communication d’information provoque ou peut provoquer une modification interne de l’émetteur ou du récepteur ou des deux. On peut dire qu’il n’y a pas de communication utile s’il n’y a pas interaction. En ce sens, la communication médiatique dans laquelle nous vivons n’est pas communication puisqu’il est impossible aux récepteurs d’interagir avec les émetteurs.

Enfin celle du tâtonnement expérimental. C’est ainsi que fonctionne notre cerveau pour construire ses circuits neuronaux, c’est ainsi que fonctionnent tous les êtres vivants pour s’adapter et évoluer dans les environnements où ils se trouvent.

Pour que ces informations donnent une idée du monde, y être et y agir, il faut qu’elles soient transformées en représentations par un système cognitif, le principal pour nous étant le cerveau et ses circuits neuronaux qui se construisent, se déconstruisent ou s’inhibent sans cesse.

Le monde réel, identique pour tous, n’est donc en réalité pour chacun qu’un monde recréé, qui sera différent suivant les espèces, différent même pour chacun des membres d’une espèce, différent aussi suivant les sens utilisés. Les abeilles par exemple et la plupart des insectes utilisent l’odeur en émettant ce qu’on appelle des phéromones dont chacune à un sens pour eux.

Nous vivons donc dans des mondes représentés, différents suivant comment ils sont représentés.

Ce que j’appelle les langages sont les systèmes neurocognitifs qui créent ces représentations, qui permettent d’évoluer dans le ou les mondes représentés, et aussi de les exprimer.

Ce sont donc dans toutes les interactions avec les informations émises par l’environnement que les systèmes neurocognitifs vont devoir construire les outils de plus en plus complexes que sont les langages.

Ce système neurocognitif peut créer du même environnement des représentations complètement différentes c’est pourquoi je parle de différents langages comme le langage verbal, le langage mathématique, le langage scientifique, le langage artistique… L’épidémiologiste Karl Popper distinguait déjà les langages primaires ou naturels comme les pleurs ou les grimaces d’un bébé des langages sociétaux. Le psychologue Winnicott expliquait la première construction du langage verbal par l’éloignement du sein (l’absence) qui provoquait la représentation de la maman qui n’était pas là, puis son appel par un langage oral (cris, pleurs…), puis par un langage verbal.

Je pourrais définir les principaux langages ainsi :

– le langage exprimé par les langues verbales crée les représentations de la description du monde sensible, perçu par les sens, et du monde des émotions. Et, du coup, il crée ce monde.

– le langage exprimé par les langues mathématiques crée les représentations d’un monde où les objets, les personnes, les choses sont absents. Il crée ce monde qui n’a rien à voir avec le précédent.

– Le langage porté par les langues scientifiques crée la représentation de phénomènes, crée les relations de cause à effet, essaie de donner l’explication du monde sensible.

– Le langage porté par les langues artistiques crée les représentations de l’intime, en quelque sorte celles de l’inconscient. Il crée des mondes qui ne peuvent être que particuliers chacun et à chacun.

La plupart des espèces, mais en particulier les espèces sociales, ont eu besoin, dans leur social-historique qui a pu durer des millions d’années, de standardiser l’expression des représentations pour que leurs membres puissent communiquer entre eux et créer des systèmes vivants que sont les groupes sociaux ou les écosystèmes (on sait aujourd’hui que même le monde végétal vit et communique ainsi). D’où la construction des langues qu’il faut distinguer des langages qui leur sont en amont. Mais ce qu’expriment les langues doit aussi être interprété par les langages, ce qui fait par exemple que tous les individus ne donnent pas forcément la même interprétation de ce qu’ils voient, entendent, ressentent et lisent transmit par les langues. Avec les mots de la même langue, les poètes créent d’autres mondes que tous ne comprennent pas.

– L’exemple le plus facile est celui de la nage en tant que langage.

Exemple des bébés nageurs : Dans le liquide amniotique du ventre de la maman, le bébé vivait et percevait les informations d’un monde aquatique. À sa naissance, plongé dans le monde de la pesanteur et de l’atmosphère, il va falloir qu’il intègre ses nouvelles informations pour s’y mouvoir, mais dans l’expérience des bébés nageurs, il ne se noie pas, tout au moins dans l’immédiat. Très rapidement il perdra ce langage (faculté de l’inhibition) pour construire et lui substituer celui de la marche (perception d’autres informations et adaptation pour y évoluer)

Plus tard, il devra réapprendre à évoluer dans le monde aquatique. Ce n’est pas en apprenant les mouvements de la brasse sur un tabouret, mais en étant plongé dans l’élément aquatique, là où il n’a pas pied. L’expérience de l’apprentissage direct de la natation en grand bassin a démontré que c’était ainsi, en étant confronté avec les informations complètement différentes perçues du monde aquatique, que peu à peu il se créait le langage qui allait lui permettre d’y évoluer. Mais ce sera à sa façon. La brasse, le crawl sont des mouvements que le sport occidental a standardisés, qui peuvent être reproduits et appris… lorsqu’on sait nager ! Ce sont donc des langues de la natation. La construction d’un langage a précédé celui de l’apprentissage d’une langue, ce qui ne peut se faire que si l’on a été confronté à un monde le nécessitant.

On peut généraliser ceci à tous les langages et à toutes les langues.

– L’exemple le plus connu est l’apprentissage de la parole. Tous les enfants apprennent à parler, à un moment ou à un autre sauf handicap physiologique. Or ce langage et la langue qui en est le support sont les plus complexes qu’un être humain ait à construire. Si, dès sa naissance, un enfant n’était pas entouré de personnes parlant, lui parlant, s’il n’avait pas besoin de parler pour exister et appartenir aux groupes qui assurent sa subsistance, sa sécurité (famille, quartier, village…) il n’apprendrait jamais à parler. Or, il le fait sans avoir besoin d’être dans une école et d’avoir des « experts » en apprentissage qui lui fassent des leçons.

– L’autre exemple nous posant le plus de problèmes éducatifs est celui du langage mathématique.

Le langage mathématique crée un monde imperceptible par les sens. Personne n’a jamais vu, entendu, senti, touché, goûté 2+2 ! Toutes les sociétés n’ont pas eu besoin de construire ce monde ou pas du tout de la même façon que nous. Dans la tribu des Murukundi étudiée par une équipe avec des anthropologues et un mathématicien, où la propriété n’existait pas, où tout appartenait à tout le monde, aucun besoin de créer le nombre, mathématiquement il leur suffisait de se représenter l’unité, l’à-peu-près ou le beaucoup, la langue support étant le doigt, une main fermée ou les deux mains. Ce qui ne veut pas dire qu’ils n’avaient pas la capacité de créer un langage mathématique semblable au nôtre, les expériences de l’équipe avec les enfants de la tribu l’avaient démontré. Ce qui n’empêche pas que leurs langages avaient bien créé une autre conception de l’univers tout aussi cohérente que la nôtre, tout aussi vivable, voire mieux !

Cette capacité de création tout le monde animal la possède, probablement le monde végétal aussi, mais notre anthropomorphisme est incapable de le concevoir : par exemple Von Frisch a démontré que les abeilles en percevant les informations de la lumière polarisée pouvaient se représenter direction et distance et le transmettre à leurs consœurs par des mouvements sur la planche de vol, c’est-à-dire de le transmettre par une langue, un monde mathématique incompréhensible pour nous.

Ce langage mathématique que l’on pense universel et pouvant expliquer le monde réel du fait de l’hégémonie occidentale ne l’a pas toujours été. Dans l’Orient, en particulier la Chine, d’autres représentations avaient été créées comme par exemple le yin et le yang. Si on prend le langage écrit, celui de la Chine n’est même pas verbal, il crée de tout autres représentations que les nôtres tout comme celui des hiéroglyphes et bien d’autres. Chaque langue créée par le même langage ne porte pas exactement les mêmes représentations, ce qui fait aussi que les différents peuples n’ont pas tout à fait la même conception de la vie (philosophie). D’où peut-être les mésententes et luttes.

La différence entre l’espèce humaine et les autres espèces animales c’est qu’elle a fixé une bonne partie des représentations créées dans des signes sur des supports. Avec ces signes en les agençant, les combinant, elle a pu créer d’autres représentations, purs produits de l’esprit ayant encore moins à voir avec le monde sensible. C’est ainsi que le langage mathématique a probablement produit d’abord quelques symboles simples, puis au cours des siècles avec ses signes et en en créant d’autres, les mathématiciens l’ont complexifié jusqu’à devenir incompréhensible pour l’ensemble d’une population. On peut aussi citer le langage scientifique qui a produit la physique quantique, pure création de l’esprit. C’est pour cette raison que laisser les enfants dessiner (ce qui est créer des représentations) est la mère de la plupart de nos langages et de nos langues.

Mais, avec les langues de ces langages, l’espèce humaine a pu créer une multitude de choses, d’objets qui n’existaient pas dans le monde sensible originel, si bien que notre environnement produisant des informations est en grande partie constitué par cela. Par exemple, les enfants vivent dans un monde en très grande partie issu des langages verbaux, mathématiques et scientifiques : quadrilatères, parallélépipèdes, horaires, feuilles d’impôts, bagnoles, etc., etc. Quand ils naissent, ils tombent dans un monde où on parle, où on lui parle dans une langue, où il a besoin de parler pour l’intégrer et y exister. C’est donc avec cette partie du monde devenu sensible qu’il y aura le plus d’interactions. Le petit Murunkudi n’aura pas les mêmes interactions, ne construira pas les mêmes représentations et vivra différemment. On peut faire l’hypothèse que la destruction de l’environnement a été en partie inconsciente puisque nous vivons dans un monde fabriqué où les interactions avec le monde de la nature se sont amenuisées.

D’où cette déclinaison de ma théorie des apprentissages : il suffit que les enfants vivent dans des espaces où les différents langages de nos sociétés occidentales sont utilisés par tous ceux qui y vivent pour faire vivre le collectif qu’ils doivent ou devraient constituer (un système vivant). Ils apprennent à parler (langue) parce qu’ils sont dans un monde où l’on parle et où ils entendent parler, ils apprennent à écrire dans un monde où l’on écrit, où il y a plein d’écrits et où ils voient écrire et où l’on a besoin et des raisons d’écrire, ils apprennent à mathématiser dans un monde où il y a de multiples raisons de mathématiser, ils apprennent à être scientifiques dans un monde où l’on ne cesse d’expérimenter et de laisser expérimenter, etc.

Mais il est indispensable que dans chacun des langages les enfants puissent créer, même si les représentations qu’ils créent ne nous semblent pas conformes à celles qui sont celles considérées comme justes. C’est dans la communication avec les autres qu’elles s’adapteront à celles que nous voulons qu’ils intègrent ou apprennent.

C’est pourquoi je dis qu’un enfant peut parfaitement écrire sans savoir écrire, mathématiser sans connaître un traître mot de la langue mathématique, etc. D’ailleurs c’est ce qu’il fait lorsqu’il dessine, gribouille…

Une théorie n’est qu’une tentative d’explication a posteriori d’un phénomène, en aucun cas elle ne peut se décliner en une méthode à appliquer. L’école du 3ème type n’a été que la résultante et l’aboutissement de longs tâtonnements expérimentaux, à la fois individuels et collectifs (échanges entre classes uniques). Aucune des classes uniques qui ont participé à ce tâtonnement n’a abouti à un système vivant rigoureusement semblable à celui des autres. Autrement dit il n’y a pas de modèle.

Bernard Collot, Bué, janvier 2 023

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